Sarah Balabagan, princesse de la liberté
Editorial
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“La définition que je donnerais de la liberté: ce mouvement qui fait d'un être social conditionné une personne qui ne restitue pas la totalité de ce qu'elle a vécu de son conditionnement; qui fait de Genêt un poète, par exemple, alors qu'il avait été rigoureusement conditionné pour être voleur.”
Ainsi s'exprimait Sartre en 1970.
La liberté, c'est ce qui fait aujourd'hui de Sarah Balabagan une héroïne, alors qu'elle était programmée pour être une servante taillable et corvéable à merci. Mais cette soumission à un destin imbécile, Sarah avait déjà voulu y échapper. A l'âge de 16 ans, elle quitte sa famille et son pays, les Philippines, pour venir servir aux Emirats Arabes Unis. Elle espère, grâce à ses gains, préparer pour elle et les siens un avenir matériel plus facile, des lendemains qui chantent en somme. Hélas, c'est le chant du cygne qu'entendra Sarah, si les forces politiques ne se mobilisent pas. Le chant du cygne? Elle va donc mourir? Mais qu'a-t-elle fait? Quel crime a-t-elle donc commis? Qu'est-il donc arrivé? Ceci: son patron ra violée, elle l'a poignardé, il en est mort.
Un premier procès la condamne à sept ans de prison pour meurtre mais, le viol ayant été constaté, lui accorde des circonstances atténuantes sous forme de dommages et intérêts.
Le jugement est cassé. Un second procès a lieu, au cours duquel la peine de mort est requise. Au prononcé du verdict, Sarah effondrée répétera en sanglotant: “Ce n'est pas juste, je n'ai fait que me défendre”.
L'iniquité d'une telle condamnation a soulevé un vif émoi aux Philippines et sorti le monde judiciaire de sa léthargie dogmatique. Gisèle Halimi dans Le Mon de et Robert Badinter dans Le Nouvel Observateur s'indignent de cette "barba rie judiciaire" et appellent à la solidarité humaine.
Ils demandent que les Emirats respectent leur signature au bas de la Déclaration de Pékin, dont l'article 8 prévoit de "prévenir et éliminer toutes les formes de violence à l'égard des femmes et des filles". C'est le moment pour les délégués de la conférence et des Ong de prouver que la Déclaration de Pékin n'est pas un catalogues d'idées mises en boîte comme des produits manufacturés. Et pour "Justice sans frontières" d'intervenir.
Dans la Bible, Sarah incarne un rôle particulier. Elle a pour mission de communiquer aux femmes l'aventure de la révélation monothéiste qu'Abraham de son côté enseigne aux hommes. Ainsi Sarah est en parité avec Abraham dans le savoir de Dieu mais aussi dans l'amour. Car l'enfant qui lui vient si tard est le résultat d'une attente, d'un projet. Il est le fruit de l'amour entre ces deux êtres. C'est aussi comme çà que Sarah Balabagan voyait les choses. C'est pourquoi elle protégeait son corps, c'est pourquoi elle se réservait pour une vie où elle se rait mère par choix.
Mais il existe des pays - trop nombreux - où ce choix est puni de mort. Le 30 octobre prochain, la Cour d'Appel doit statuer sur le cas de Sarah Balabagan.
En tous cas, un nom à ajouter à la liste déjà longue des femmes qui se battent pour organiser leur propre destin. Courage, Sarah, nous sommes avec toi. Ne laissons dire par personne que 16 ans, c'est le crépuscule de la vie. Sauvons Sarah. ■
Sara BRAJBART - ZAJTMAN